Un lien si fort
Quand on se risque à l’échange avec quelqu’un qui nous déroute – un malade, un enfant, un étranger, une personne sénile, une personne très pauvre -, on est obligé de suspendre ses propres logiques, son système d’appréhension de la réalité, de mesure, de vérification que les choses sont en place, etc. Chacun est alors poussé à explorer d’autres manières de vivre la rencontre et, pour cela, à se laisser surprendre, à s’orienter sur ce qui va surgir au cours de l’échange, dont au départ il ignore tout. En soi, ce retournement est une bonne nouvelle. Il signifie que mes logiques, mes habitus, ne sont pas des clés universelles : ils ne suffisent pas pour que la communication puisse avoir lieu. Les voici donc reconduits à la place de simples médiations. En aucune manière ils ne peuvent prétendre détenir les secrets de la relation et de la vie. Je puis donc les relativiser.
Mais surtout, nous – c’est-à-dire, l’autre et moi – sommes invités à nous mettre en quête de ce qui pourrait, au cours de cette relation difficile, résonner comme une promesse. Nous voici poussés à chercher une source de vie, de vraie vie, celle qui est plus discrète, mais aussi plus forte que les codes de conduite institués. Lorsque nous l’aurons trouvée – c’est à la joie qu’on la reconnaît – ce sera pour nous comme un cadeau : quelque chose qui nous est donné gratuitement, que l’on osait à peine espérer. Alors, oui, je pourrai dire que j’ai reçu un trésor inestimable de la part des pauvres, des enfants, de l’étranger et même de mon ennemi. Mais ce ne sera pas sur un mode calculé.
Au total, la difficulté de communication, expérience de dépossession de mes compétences habituelles à entrer en relation, peut se transformer en une heureuse découverte. Ceci, d’ailleurs, est vrai de toute rencontre : dans la mesure où j’espère atteindre quelque chose de personnel – c’est-à-dire d’unique, et qui en même temps ouvre à la vraie vie – je suis obligé de chercher ailleurs que dans mes modes de communication habituels pour me risquer à l’inconnu. On comprend pourquoi la dimension relationnelle de l’existence constitue pour le travail d’évangélisation un rendez-vous crucial.
Etienne Grieu
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